BG de Hippocrate

Présentation de la Protectrice de la Terre et de ses Chevaliers.

Modérateurs : Maîtres de jeu, Oracles d'Athéna

Avatar de l’utilisateur
Hippocrate
Élève
Messages : 43
Inscription : lun. mai 27, 2019 5:52 pm

BG de Hippocrate

Message par Hippocrate »

GENÈSE – LES MÉMOIRES D’UN MÉDECIN D’OMBRE ET DE LUMIERE

Je suis né dans une maison faite de marbre, de bois de cèdre et de mensonges.
Anthissa, mon village natal, s’étendait comme un collier de pierres précieuses autour des collines à l’est de Mycènes. On disait qu’il avait été fondé par un fils bâtard d’Agamemnon, chassé pour son arrogance mais béni des dieux pour sa ténacité. Il y poussait des oliviers vieux de mille ans, des cyprès aux troncs torsadés, et des champs d’orge dorés que le vent caressait comme une mer terrestre. Le parfum des lauriers-roses et des figues mûres en été hantait chaque ruelle.

Ma maison dominait la vallée. Un palais miniature, blanc comme l’ivoire, dont les colonnes aux chapiteaux rouges racontaient la gloire de mon père : Méandros d’Anthissa, Seigneur du village, conseiller militaire de Mycènes, gardien de la route des Ambassadeurs.
Il avait les traits nobles et la voix pleine de miel, mais son regard était une lame d’airain, droit et tranchant. Il croyait aux dieux, au sang, et au pouvoir. À la vertu des castes. À la légitimité de la souffrance quand elle servait l’ordre.

Ma mère, douce et effacée, chantait à la lyre les poèmes d’Orphée dans une pièce aux murs peints d’azur. Elle avait les mains de la pluie : discrètes, patientes, invisibles mais essentielles. C’est elle qui m’enseigna le silence, la lecture des ombres, et la douleur des âmes.

La maison était belle. Trop belle. Les portes sculptées représentaient des scènes mythologiques : l’accouchement d’Alcmène, la guérison d’Héraclès, les bains sacrés d’Hygeia. Mais les cris de ceux qui mouraient dans les ruelles en contrebas venaient cogner contre leurs dorures comme des oiseaux perdus.
Car Anthissa, malgré ses jardins suspendus et ses statues de marbre, cachait une misère rampante.

Les paysans vivaient dans des cabanes de torchis. Leurs enfants mouraient de fièvre en hiver, de soif en été. Le pain, souvent, manquait. Et lorsqu’une bête crevait, on la mangeait en entier, tripes et os confondus. On disait que c’était le prix de la paix. Qu’un peuple affamé est un peuple docile.

Je n’y ai cru que jusqu’à mes huit ans.

Ce jour-là, trois enfants sont morts devant la porte de notre entrepôt à blé. Ils étaient venus quémander une miette. Une poignée de grain. Rien. Les gardes les ont chassés à coups de bâton. Ils se sont écroulés plus loin, entre les racines d’un figuier. Deux frères. Une sœur. Des jumeaux et leur aînée.

Je me souviens m’être approché de leurs corps. Le plus jeune tenait un noyau d’olive comme un talisman. L’aînée avait tenté de les couvrir de son châle, mais le froid les avait figés ensemble, comme une sculpture d’amour inutile.

Je suis rentré en courant. J’ai hurlé. Mon père a souri. Ma mère a pleuré. Et moi… moi j’ai commencé à haïr l’or.

C’est ce jour-là que j’ai trouvé Lysios.

Il était fils de forgeron, avec des mains pleines de brûlures et des yeux brillants de feu. Il m’a vu pleurer et ne s’est pas moqué. Il m’a tendu un fruit volé. Il m’a dit :


— "On ne peut pas tous les sauver. Mais on peut essayer d’en sauver un."

Ce fut le début.

Pendant les années qui suivirent, nous avons partagé tout : les jeux, les lectures, les rêves, les blessures.
Nous avions douze ans lorsque nous avons décidé de devenir médecins.

Les prêtres d’Asclépios venaient parfois dans notre région, vêtus de blanc, portant des bâtons en bois d’olivier autour desquels s’enroulaient de vrais serpents. Leur regard était paisible, leurs gestes précis.
Nous les avons suppliés de nous enseigner.
Ils ont ri. Puis ils ont accepté.

Notre formation dura six années.
À Épidaure, nous dormions sous les étoiles, dans les sanctuaires silencieux. Nous apprenions à reconnaître les plantes dans l’obscurité, à interpréter les rêves des malades, à purifier les mains avant chaque acte.
Nous avons étudié la saignée, la cautérisation, les fumigations d’absinthe, les cataplasmes de myrrhe. Mais aussi les paroles qui soulagent, les gestes qui apaisent, le poids d’un regard sincère.

Nous étions devenus des disciples du vivant.

Mais le destin, lui, préparait autre chose.

La guerre éclata entre Mycènes et Sparte. Le bronze et le sang revinrent souiller la terre d’Argolide.
Et nous fûmes appelés. Non comme soldats. Mais comme guérisseurs de guerre.

Ce fut un enfer.

Les cris, les membres tranchés, les ventres ouverts, les cadavres gonflés dans la chaleur... L’odeur de fer et de bile ne quittait plus nos narines. Les blessés s’amoncelaient comme des sacs de lin éventrés.

Un jour, dans un village aux abords de Lerne, nous avons été assiégés. Sparte avait envoyé ses archers les plus cruels.
Lysios s’était porté au-devant pour sauver une mère et son nourrisson. Une flèche noire lui perça le flanc droit.

Je l’ai ramené dans une grange. Il souriait encore.


— "Ça ira… Ce n’est qu’un trait. Tu m’as connu plus abîmé…"

Mais la plaie suppurait. Le venin de fer rongeait ses veines.

Je tentai tout. Saignée. Huile de cèdre. Onctions.
Mais rien n’y faisait.

Alors… alors j’ai tenté l’impensable. Une théorie nouvelle, entendue chez des érudits thraces : la transfusion animale.
Je pris le sang d’un taureau noir. Chaud. Fort.
Je le fis couler dans les veines de Lysios à l’aide d’un tuyau de bronze et de plumes de cygne pour filtrer les impuretés.

Je croyais le sauver.

Mais en quelques minutes, son corps fut pris de spasmes terribles. Il vomit du sang. Sa peau devint livide, puis marbrée. Il hurlait.

— "Par les dieux… Hippocrate… qu’est-ce que tu… m’as fait ?!"

Ses yeux me cherchaient. Me suppliaient. Puis s’emplirent d’une terreur animale.
— "C’est… c’est fini ?"

Il convulsa une dernière fois. Puis son cœur s’arrêta.
Ses lèvres me soufflèrent mon nom, dans un râle de fin du monde.

Et je restai là, seul, tenant la main d’un frère que j’avais tué en voulant le sauver.

Je ne pleurai pas. Pas tout de suite.

Ce soir-là, je compris que l’amour ne suffisait pas. Que le savoir pouvait être poison. Que la médecine, comme la guerre, tue si l’on oublie l’humilité.

Je pris le talisman qu’il portait — une médaille de bronze offerte par sa sœur — et la mis autour de mon cou.

Depuis ce jour, je n’ai jamais cessé de marcher.
Je soigne. Je cherche. J’apprends.

Et je me punis.
Par chaque vie que je sauve. Par chaque enfant arraché aux ténèbres.

Jusqu’à ce matin.
Où j’ai trouvé un autre enfant.
Dans les ruines.




Chapitre 1 : L’Orphelin blessé

Je ne suis pas un homme que l’on pourrait qualifier de sentimental. Les larmes me paraissent souvent suspectes, les effusions de chagrin mal placées. Non que je sois insensible — bien au contraire. Mais ce qui m’habite depuis l’enfance n’est pas une absence d’émotion : c’est un excès. Une tempête intérieure, une marée d’impressions si violentes que, si je devais les libérer, elles m’emporteraient corps et âme. Alors je les retiens. J’en fais des mots sobres, des gestes mesurés, des silences éloquents. Je les transmets autrement : par mes mains, par mes soins, par cette obstination à vouloir réparer l’irréparable.

Mais aujourd’hui, je me permets une entorse à cette discipline glacée. Peut-être est-ce la fatigue, ou le fait que mes souvenirs me brûlent le cœur comme au premier jour. Peut-être est-ce aussi le besoin de transmettre, d’offrir à ceux qui liront ces lignes une esquisse de la vérité nue : celle de la souffrance, de la perte, du pouvoir inattendu de la mémoire et de la guérison.

J’avais sept ans lorsque mes parents ont été exécutés, en pleine journée, à Mycènes. Le ciel était clair, presque éclatant, et les cigales chantaient comme si le monde n’était pas en train de basculer. Je n’ai jamais oublié ce contraste — cette beauté lumineuse de l’été grec, affrontant la noirceur d’un acte aussi barbare.

Ils furent pendus d’abord. Puis brûlés. Jetés avec d’autres corps dans une fosse creusée à la hâte, là, sur les hauteurs de la ville. Je me souviens que leurs yeux étaient restés ouverts, figés par la mort, comme deux miroirs vides reflétant la dernière image de ce monde cruel. Et moi, petit garçon fragile, debout à quelques pas à peine, je les regardais, persuadé qu’ils ressentaient encore la chaleur des flammes. Qu’ils souffraient. Qu’ils m’appelaient, silencieusement.

Tout en moi criait de les rejoindre. Je me souviens avoir voulu sauter, me jeter dans le brasier, comme si ma présence pouvait les ramener. Mais une main m’avait retenu — celle d’un vieillard anonyme, ou d’un soldat distrait. Je ne sais plus. Le reste est un mélange de cris, de cendres, de terreur.

Les médecins appellent cela un traumatisme complexe. Les sages de la cité parlent de « dévastation humaine », quand les mots ne suffisent plus à contenir l’ampleur du choc. C’est une fracture de l’âme, un effondrement invisible. Un gouffre qui, une fois ouvert, vous accompagne toute votre vie.

Ensuite, il y eut la captivité.

Vendu comme esclave, je fus emmené chez les Étrusques, de l’autre côté de la mer. Trois années d’ombre, de violence, de fureur. Là-bas, les enfants comme moi étaient dressés comme des chiens pour s’entretuer. Les riches, bien installés sur leurs gradins de pierre, pariaient sur nous comme on le fait pour des coqs ou des lévriers. Nous n’étions que chair à spectacle. Chair à sang.

Je me souviens du goût du métal dans ma bouche, de la peur viscérale avant chaque affrontement, du froid glacial des nuits passées à panser mes plaies seul, sous les étoiles indifférentes. Il m’a fallu tuer pour survivre. À plusieurs reprises. Chaque victoire était une défaite de mon humanité.

Et puis, un jour, ce fut fini.

Je gagnais ma liberté par la lame. Et avec elle, un sentiment étrange : celui d’être plus mort que les cadavres que j’avais laissés derrière moi.

À dix-huit ans, je revins en Grèce. Je croyais retrouver un pays. Je découvris un champ de ruines.

Mais dans les temples d’Asclépios, j’ai trouvé une lumière. On m’y enseigna que l’on pouvait guérir — les autres, parfois soi-même. On m’y confia les secrets des plantes, les rituels d’apaisement, l’art des diagnostics. J’y découvris l’odeur des herbes macérées, le goût amer des décoctions, la précision de la coupe, le soulagement dans les yeux d’un patient sauvé.

Depuis neuf ans, je soigne.

À vingt-sept ans, je suis médecin. J’exerce dans les faubourgs de Mycènes, au milieu des mendiants, des lépreux, des orphelins, des miséreux. Ceux que la guerre a oubliés mais qui portent ses cicatrices.

Mais ces derniers jours… Ces jours m’ont ramené au bord de l’abîme.

Nous avons perdu quinze personnes à cause de la tuberculose. Huit d’entre elles étaient des enfants. La maladie les emportait vite : d’abord une toux sèche, puis le sang, puis l’épuisement, puis la mort. Rien n’est plus insupportable que le regard d’un enfant qui comprend qu’il va mourir.

Et ce n’était que le début.

Les attaques se sont multipliées. Les armées d’Hadès — des guerriers en armures noires, surgis des Enfers — ont ravagé les campagnes. J’ai extrait des corps de bébés et d’enfants des décombres. Certains étaient démembrés, d’autres vidés de leur crâne. Des petits membres, tordus, broyés, arrachés. Le pire, ce sont les visages. Ils ont cette fixité tragique, une expression qui hante les nuits.

Et moi, médecin, homme de science, protecteur du vivant… Je ne pouvais que constater. Je me sentais impuissant. Humilié. Dévasté.

Puis vint cette journée.

Le sol tremblait encore quand j’ai trouvé l’enfant. Il fouillait dans les ruines, appelant ses parents d’une voix vide. Il ne pleurait pas. Il ne criait pas. Il ne comprenait pas encore. Ou plutôt, son esprit refusait de comprendre. J’ai vu cela chez certains blessés : le corps se met en pause. C’est une forme de sauvegarde. Un dernier refuge.

Il avait trouvé la jambe droite de son père. Et un morceau d’intestin. Il avait reconnu la sandale. Il la serrait contre lui, comme un trésor. Le reste du corps avait été dispersé aux quatre vents de la folie.

Je l’ai regardé longtemps. Et en lui, j’ai vu le petit garçon que j’étais. J’ai su, à cet instant, qu’il porterait cette scène toute sa vie. Qu’il gravirait seul une montagne invisible. Et qu’il saignerait de l’âme à chaque pas.

— « Oh ! malheur ! Attention, petit, ça va s’écrouler ! »

Un pan de mur menaçait de s’effondrer. Mon corps réagit avant ma pensée. Une énergie fulgurante me traversa. Mes muscles se contractèrent d’eux-mêmes. Mon pas devint un éclair. Je bondis.

Tout était ralenti autour de moi.

Je le saisis au dernier moment, juste avant que les pierres ne s’écrasent là où il se trouvait. Une lumière m’enveloppa. Une chaleur nouvelle. Comme si le monde lui-même retenait son souffle.

— « Bonjour. N’aie pas peur. Je ne te veux aucun mal. Je suis médecin. Je m’appelle Hippocrate. Tu es blessé. Tu es en danger ici. »

— « Mon père… ma maman… mes frères… »

— « Ils ne reviendront pas. Mais toi, tu peux vivre. Tu peux encore être sauvé. »


Je posai ma main sur sa poitrine. Une blessure béante barrait son flanc gauche. Et alors… quelque chose se produisit. Une aura émergea de moi. Ma main gauche s’illumina d’une énergie douce, vibrante, presque chantante. Elle pénétra la chair de l’enfant. Et, lentement, les tissus se reformèrent. Le sang se résorba. Les plaies se refermèrent. Il respira plus librement. Il s’apaisa.

« Quelle est cette chose… ? Une magie ? Non. Je suis homme de science. Un disciple d’Asclépios. Je crois en la nature, en l’observation, en la médecine. Et pourtant… »

Ma main gauche brillait. Elle répondait à ma volonté, à mon désir profond de soigner, de sauver, de transmettre la vie. Elle devenait lumière. Elle devenait foi.

L’enfant, libéré de la douleur, ferma les yeux. Il tomba de sommeil contre moi, comme un oisillon dans le nid retrouvé.

Je le serrai doucement.


— « Tu es sauvé, petit. Mais tu ne peux rester seul. La ville la plus proche est Mycènes. Dix jours de marche. Tu y seras peut-être accueilli. »

Quant à moi… je devais comprendre. Comprendre cette aura qui, deux fois en une heure, m’avait sauvé et avait guéri. Était-ce un don ? Une malédiction ? Ou bien le fruit de quelque mémoire enfouie, un savoir ancien revenu du fond des âges ?

Je pris l’enfant sur mon dos. Et je partis, à travers les collines tordues de l’Argolide, marchant entre les pierres, les oliviers et les souvenirs.

Vers Mycènes.
Vers la vérité.
Vers Mnémosyne.


Chapitre 2 : La Route de Mycènes


Le vent s’était levé à l’aube, tiède et doux, caressant la peau comme une main d’adieu. Il soulevait doucement les boucles sombres d’Androclès tandis qu’il marchait aux côtés d’Hippocrate, les pieds nus et meurtris par les pierres de la route. Leurs ombres s’allongeaient sur la terre poussiéreuse, s’effilochant au rythme des collines. Le soleil, haut dans le ciel, diluait la frontière entre rêve et réalité.

L’enfant toussa légèrement. Son souffle était court, non pas par maladie, mais par fatigue. Cela faisait déjà cinq jours qu’ils marchaient.

— Hippocrate… j’ai faim. Et mes pieds me brûlent. J’en peux plus…

Le médecin ralentit le pas, posa sa main sur l’épaule frêle du garçon et le regarda avec une tendresse qu’il ne s’autorisait que rarement.

— Tu es courageux, Androclès. La route a été rude, et ton corps n’a pas encore retrouvé sa force. Nous ferons halte dans une heure, près du ruisseau d’Épidaure. Le crépuscule n’est pas loin.

Le garçon acquiesça, ses lèvres tremblant de soulagement.

— Et Mycènes… c’est encore loin ?

— Sept jours, peut-être huit. Si les dieux nous laissent en paix.

Il n’y avait pas de réponse. Seul le frottement des sandales d’Hippocrate sur la poussière, et le pas traînant de l’enfant. Puis, alors qu’ils s’arrêtaient dans une clairière, Hippocrate dit :


— Je vais chasser. Rassemble du bois. Nous ferons un feu pour la nuit.

L’enfant hocha la tête et s’éloigna, laissant l’homme s’enfoncer entre les troncs. Le silence, dans cette forêt basse, avait une densité presque surnaturelle.

Une heure plus tard, Hippocrate revint avec deux lapins accrochés à sa ceinture et un panier d’herbes et de champignons comestibles. Le feu crépitait déjà.


— Voilà de quoi nous nourrir, dit-il. De l’eau fraîche, un peu de thym sauvage et ces girolles que j’ai trouvées… Cela fera un festin digne des rois de Delphes.

Mais avant qu’il ne puisse allumer sa pipe, une ombre passa sur ses pensées. Le ciel s’assombrit, d’un coup, comme si le jour avait été happé par un gouffre. Le vent se figea.

Il se redressa lentement.


Le ciel, d’un bleu encore chaud, fut soudain englouti dans une obscurité brutale, comme si un voile d’outre-tombe avait été tiré sur la lumière du monde. Les oiseaux cessèrent de chanter. Le vent se tut. Et même le feu, un instant, sembla hésiter à crépiter. Une chape de silence surnaturel s’abattit sur la clairière.

Hippocrate se redressa lentement, l’oreille tendue vers cette dissonance invisible que seuls les initiés pouvaient entendre.

— Il est là…

Et puis il le vit.

Une silhouette avançait entre les troncs, sa démarche lente mais implacable, comme si elle foulait un sol que nul autre ne pouvait percevoir. Le spectre portait une armure d’un métal noirci, usé par les siècles, d’où s’élevaient des vapeurs sombres, sinueuses comme des serpents. À mesure qu’il approchait, l’air se glaçait autour de lui, et même les feuillages paraissaient se flétrir à son passage.

Son visage — ou ce qu’il en restait — était un masque pâle, blafard, presque translucide, dans lequel deux yeux rouges brillaient faiblement, comme deux braises mourantes au fond d’un gouffre. Pas de bouche. Pas de nez. Juste une esquisse, une moquerie de visage humain.


Un murmure se fit entendre dans la tête d’Hippocrate, non par les oreilles, mais par les os.

— Tu n’aurais pas dû le sauver… Il était marqué. Il nous appartient.

La voix était rugueuse, érodée, comme si elle venait de l’autre côté du temps.

— Il est vivant, répondit Hippocrate à voix haute. Et tant que mon souffle tiendra, aucun esprit de haine ne touchera cet enfant.

Le spectre s’arrêta à quelques pas. D’un mouvement sec, il déploya ses bras, et un cercle d’ombres surgit autour de lui. Des symboles anciens, funestes, s’inscrivirent dans le sol en un instant. Hippocrate reconnut cette magie : la Marque du Jugement.

— C’est donc ainsi… dit-il. Tu n’es pas un simple spectre. Tu es un Émissaire du Léthé. Un chasseur d’âmes.

Le spectre ne répondit pas. Il leva lentement sa main gauche, gainée d’une gantelet osseux. Le temps se figea. Et soudain, une onde noire se déploya en spirale, frappant Hippocrate de plein fouet.

Une sensation de froid absolu envahit son corps. Son souffle se coupa. Ses membres se figèrent. Il tenta de bouger un doigt, en vain.

Il était prisonnier.


— Paralysie de l’âme… murmura-t-il. Il a touché mon essence, pas seulement mon corps…

À l’orée de la clairière, Androclès, qui observait la scène, vit Hippocrate tomber à genoux. Le feu s’éteignit d’un seul coup. Il sentit son cœur se serrer, comme si une main invisible lui enserrait la poitrine.

Il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il voulut courir, mais ses jambes refusaient de bouger. Son protecteur, son phare, celui qui le portait hors de la nuit depuis leur rencontre… était à terre.

— Non… non… pas lui…

Il vit la silhouette sombre du spectre s’approcher d’Hippocrate, comme un vautour d’ombre sur un mourant. L’enfant tomba à genoux. Les larmes jaillirent. Un désespoir ancestral, animal, jaillit de lui dans un souffle :

— Hippocrate !

Et ce cri… ce simple cri… traversa la paralysie.

Hippocrate, malgré le froid surnaturel qui mordait son être, sentit en lui un point de chaleur. Un lien. Une voix. Quelque chose de plus fort que la mort elle-même.

Il ferma les yeux. Chercha cette lumière.

Il la vit : une étincelle blanche, pure, dans les ténèbres. Le souvenir d’une caresse maternelle, d’un premier souffle, d’un serment prononcé à Épidaure.


— Je suis celui qui guérit les corps, mais aussi les âmes.

Ses lèvres bougèrent à peine, mais sa main droite se leva. Dans sa paume, une lumière douce s’illumina. Non pas brûlante comme le feu, mais vibrante comme le souvenir d’un amour perdu.

— Pars.

La lumière jaillit. Elle frappa le spectre en plein torse.

Celui-ci hurla — un cri silencieux, sans gorge ni langue, un cri d’oubli. Des fissures blanches apparurent sur son armure, comme si la lumière y avait gravé des runes de rédemption. Puis, dans un éclat brutal, son corps se disloqua en cendres flottantes, aspirées vers le ciel noir.

Le silence revint. Pas un bruit, pas un souffle. Puis un léger vent souleva les feuilles.

Hippocrate resta à genoux, haletant. Sa main tremblait. Son cœur battait comme un tambour de guerre.

Il sentit une petite forme se jeter contre lui.


— Je croyais que tu allais mourir, sanglota Androclès. Je t’ai vu tomber, je… je savais pas quoi faire…


Hippocrate l’enlaça.

— Moi non plus. Mais ta voix m’a ramené.

Il posa le front contre celui de l’enfant.

— Tu es plus puissant que tu ne le crois.

Androclès renifla.

— Je veux pas te perdre. Jamais.

— Alors il faudra que nous soyons tous les deux très forts.

Il leva les yeux vers le ciel, qui recommençait à luire d’étoiles.

— D’autres viendront. Plus forts. Plus nombreux. Mais maintenant, je sais que je ne suis pas seul. Et toi non plus.

Ils restèrent là, tous les deux, dans cette clairière ravagée par la magie, l’un blotti contre l’autre, comme deux âmes arrachées à la tempête. Et la nuit reprit son souffle.

Quand Hippocrate revint au camp, il trouva Androclès assis près du feu, les genoux contre la poitrine.


— Je m’inquiétais, dit l’enfant. Il a fait noir d’un coup, et je ne te voyais pas revenir.

— Ce n’était qu’un orage passager… Mensonge. Mais l’enfant n’avait pas besoin de cette vérité.

Il s’assit près de lui, tendit une portion de lapin grillé. Le garçon mangea en silence. Puis demanda :

— Et si je veux rester avec toi ?

Hippocrate sourit tristement.

— Je ne vis pas dans un monde d’enfants. Je parcours des contrées blessées, où le sol boit le sang des hommes. Tu es trop jeune pour ça. Tu mérites une famille. Une vie.

Le garçon baissa les yeux.

— Et si je ne veux pas d’autre famille ?

Hippocrate prit une longue inspiration.


— Laisse-moi te raconter ce que m’ont enseigné les prêtres d’Asclépios. Tu comprendras alors.

Il posa la main sur la terre, et regarda le feu danser entre eux.

— Vois-tu, Androclès, plusieurs traditions spirituelles enseignent que l’âme choisit ses parents avant de venir au monde. Pas comme on choisit dans un marché. Mais comme une flamme est attirée par une autre flamme. C’est une loi de résonance.

Il marqua une pause.

— Ce n’est pas un choix rationnel. C’est une attraction profonde, une reconnaissance. L’âme perçoit l’énergie du couple, ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils portent. Leurs blessures, leurs vertus. Et elle sent que c’est auprès d’eux qu’elle pourra vivre ce qu’elle doit traverser.

Androclès écoutait, fasciné.

— Mais pourquoi choisir des parents violents ? méchants ? Pourquoi des familles tristes ?

— Parce que l’âme n’est pas là pour le confort, mais pour la croissance. Elle choisit parfois une blessure pour apprendre à la dépasser. Elle revient pour guérir, pour transformer, pour aimer malgré tout. Et parfois… pour aider ceux qu’elle choisit. Il arrive que des enfants viennent pour élever leurs propres parents.

— Comme… toi avec moi ?

Hippocrate ferma les yeux un instant. Il revit le rêve. La lumière. L’appel.

— Non, Androclès. Toi, tu es venu pour me rappeler quelque chose. Tu es le messager de mon propre chemin.

Il posa une main sur son cœur.

— Depuis que je t’ai trouvé, je fais toujours le même rêve. Une lumière m’appelle. Elle me demande de te conduire à Mycènes, puis de partir pour Athènes. Là-bas m’attendent des réponses que je dois découvrir.

Le silence retomba. Puis Hippocrate reprit :

— Quand une âme décide de s’incarner, elle rencontre ses Guides. Ensemble, ils définissent un plan. Ce qu’elle veut apprendre. Ce qu’elle veut guérir. Ce qu’elle veut offrir au monde.

Il regarda Androclès dans les yeux.

— Toi aussi, ton âme a choisi. Elle choisira encore. Ta famille viendra à toi comme une évidence. Ton cœur la reconnaîtra. Elle ne sera peut-être pas parfaite. Mais elle t’aidera à devenir ce que tu es venu être.

Il ouvrit ses bras. L’enfant s’y blottit.


— J’ai peur, murmura Androclès.

— Moi aussi, répondit Hippocrate. Mais la peur est une bonne chose quand elle nous pousse à aimer plus fort.

Au-dessus d’eux, les étoiles s’étaient levées. Dans le feu, les flammes murmuraient des chants oubliés. Et sur la terre sacrée de la Grèce ancienne, deux âmes se réchauffaient, conscientes — peut-être pour la première fois — d’avoir été réunies par un dessein plus vaste.



:arrow: Cfr : Les lieux de légendes : Chapitre 3 : Le temple de la mémoire
Dernière modification par Hippocrate le jeu. avr. 10, 2025 12:12 pm, modifié 16 fois.
Image
Avatar de l’utilisateur
Lachésis
Admin
Messages : 880
Inscription : jeu. janv. 17, 2019 11:17 am

Re: BG de Hippocrate

Message par Lachésis »

Coucou Hippocrate.

Pour ma part j'aime beaucoup ton BG, il est agréable à lire et tous les éléments sont là : ton passé, la découverte du cosmos, ce qui t'a poussé à rejoindre les chevaliers.
Mes collègues d'athéna confirmeront ou pas mais pour moi il est validable sans modification. (nin?)

un personnage médecin est un plus puisqu'il ouvre des perspectives RP intéressantes et tout un panel de "pouvoir" qui lui est propre.

Bienvenue à toi :mrgreen:
Ninsouna
Admin
Messages : 8627
Inscription : dim. juin 26, 2011 6:41 pm
Localisation : Partout !

Re: BG de Hippocrate

Message par Ninsouna »

Pour ma part j'aime aussi.
Seul truc, niveau combat, comment sait-il se battre ?
C'est un détail et pourquoi pas voir après ou par son pouvoir de guérison. On peux penser qu'en connaissant le corps humain , il en connaît les faiblesses.
Ou alors comme comme le docteur Strange
Avatar de l’utilisateur
Lachésis
Admin
Messages : 880
Inscription : jeu. janv. 17, 2019 11:17 am

Re: BG de Hippocrate

Message par Lachésis »

fut un temps pour un autre RP j'avais imaginé un guérisseur spécialiste du corps à corps, avec une main capable de rajeunir ce qu'il touchait et une autre capable de vieillir (basé sur full metal alchemist ^^)

c'est une idée que tu peux reprendre mais il y a plein de possibilité avec la médecine :
- Arts de guérison et de blessure (ex : kabuto dans naruto)
- rajeunissement/vieillissement comme proposé
- Usage des drogues et poisons / recherche (Mayuri Kurotsuchi dans bleach)
- Création de "vie" via des soldats qui se battraient pour toi (nécromancien quoi ^^)

etc...
Avatar de l’utilisateur
Hippocrate
Élève
Messages : 43
Inscription : lun. mai 27, 2019 5:52 pm

Re: BG de Hippocrate

Message par Hippocrate »

Voilà, je m'y suis remis, je stop pour ce soir, j'aime beaucoup l'idée de la main qui guérit et celle qui détruit. :D
Merci à vous deux.
Image
Avatar de l’utilisateur
Kronos
Oracle d'Athéna
Messages : 554
Inscription : dim. janv. 14, 2018 7:18 pm

Re: BG de Hippocrate

Message par Kronos »

Effectivement , je viens de le lire avec beaucoup de plaisir ton BG ( enfin un roliste dans l'âme ;) ) J'aime beaucoup ^^

Du coup, c'est bon je le valide sans problème ; Félicitations à toi Hippocrate ; nouvel Apprenti d'Athéna 8)

Gros points positifs : Ta qualité d'écriture et de narration ... c'est rare de nos jours très appréciable c'est fluide :wink:

Orthographe au top aussi :mrgreen:

Edit : tu dois avoir tes accès ouverts sur le forum d'Athéna ^^
Ce n'est pas le temps qui passe, mais plutôt nous qui le traversons !
Répondre